15 septembre 1859 : Isambard Brunel, un ingénieur de génie


Cette semaine, revenons sur le parcours d'un ingénieur dont le nom ne vous dit sans doute pas grand-chose et qui a pourtant révolutionné l'industrie du XIXème siècle, en pleine révolution.

Les liens du sang

Dans la famille Brunel, le talent pour l'ingénierie est dans les gènes. Le père, Marc Isambart, est un ingénieur français de talent expatrié outre-Manche. Lorsque le petit Isambard Kingdom voit le jour le 9 avril 1806 à Portsmouth, il travaille ainsi dans une usine réputée de la ville où il met au point des machines pour la fabrication de poulies de marine. Après avoir étudié en France, notamment au prestigieux lycée parisien Henri IV, puis à l'université de Caen, il débute sa vie professionnelle à tout juste vingt ans sur un prestigieux projet. Il est en effet nommé chef assistant ingénieur, auprès de son père, sur le gigantesque chantier du Thames Tunnel à Londres, le tout premier tunnel sous-fluvial à voir le jour grâce à l'ingénieux bouclier imaginé par ce dernier qui protège les ouvriers pendant le percement. Ce système est d'ailleurs toujours utilisé de nos jours et a servi notamment à la construction du tunnel sous la Manche.

Fort de cette expérience, Isambard se marie et établit sa famille, qui comptera bientôt trois enfants, et ses bureaux à Londres. Il s'émancipe de la tutelle de son père pour marquer de son empreinte de nombreux projets industriels. Il se distingue dans un premier temps par l'édification de plusieurs ponts prestigieux, comme le Maidenhead Railway Bridge, dans le Berkshire, pont à arc de briques le plus large et le plus surbaissé au monde, le Royal Albert Bridge, pont complexe à arcs métalliques suspendus, ou encore le vertigineux pont suspendu de Clifton à Bristol, long de 213 mètres et situé à 61 mètres au-dessus de la rivière Avon, alors l'ouvrage doté de la plus longue portée au monde.

Entre terre et mer

Mais Isambard Brunel, soucieux de jeter des ponts entre les disciplines d'ingénierie industrielle, marque également l'histoire naissante des chemins de fer. Dès 1833, avant même l'achèvement du tunnel sous la Tamise, il est en effet nommé ingénieur en chef du Great Western Railway, merveille de l'époque victorienne, qui relie dans un premier temps Londres à Bristol, avant de rallier Exeter. S'appuyant sur son expérience du Thames Tunnel, il jonche le parcours d'ouvrages impressionnants : viaducs, gares et vastes projets, dont le célèbre Box Tunnel, qui est alors le plus long tunnel de chemin de fer au monde. C'est également lui qui est à l'origine de la fameuse gare de Paddington.

Son extraordinaire talent s'étend ensuite au domaine de la navigation transatlantique. Il convainc en effet la compagnie de chemins de fer de financer la construction du Great Western qui, lorsqu'il est lancé en 1837, constitue le plus grand navire à vapeur du monde. En bois et long de 72 mètres, il est pourvu à la fois de voiles et de roues à aubes. Son premier voyage aller-retour entre Bristol et New-York s'effectue en 29 jours, temps record à l'époque. En 1843, il se lance dans la construction du Great Britain. Long de 98 mètres, ce dernier est considéré comme le premier navire moderne, en métal, utilisant un moteur au lieu du vent ou d'avirons, et propulsé par une hélice au lieu de roues à aubes. Cette performance ne lui suffit cependant pas. En 1852, il s'attaque à un troisième projet transatlantique, deux fois plus grand que ses concurrents et destiné à des traversées vers les Indes et l'Australie. Le luxueux Great Eastern – c'est son nom – est long de 213 mètres, record qu'il détiendra jusqu'à la fin du siècle, et doté des toutes dernières technologies mises au service de plus de 4 000 passagers et 6 000 tonnes de fret. Si son coût ne lui permit pas d'être rentable dans cette configuration, il s'illustre lors de sa reconversion en poseur de câbles transatlantiques pour le télégraphe entre l'Europe et l'Amérique du Nord, ouvrant ainsi une nouvelle ère dans les télécommunications.

Une légende britannique

Victime d'un AVC, cet ingénieur légendaire décède le 15 septembre 1859 à 53 ans seulement. Malgré cette disparition prématurée, il laisse une trace indélébile sur la Grande-Bretagne toujours de nos jours. De nombreux monuments et lieux, dont une université et un musée, portent son nom. Pour les amateurs de sports, c'est le grand mât du Great Eastern qui orne depuis 1906 l'entrée du prestigieux club de football de Liverpool. En 2002, il obtient la seconde place dans un sondage télévisé de la BBC juste après… Winston Churchill et est incarné par Kenneth Branagh lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de 2012 à Londres, mise en scène par Danny Boyle. Consécration ultime au royaume des pubs, nombre de Britanniques lui attribuent l'invention des comptoirs de bars : c'est en effet lui qui a instauré ce mode de service rapide au Great Western Hotel de la gare de Paddington et à celle de Swindon.

"L'imagination religieuse avait conçu un Dieu supérieur à ses créatures ; l'imagination technique a conçu un Dieu-ingénieur, inférieur à ses inventions." – Octavio Paz