23 mars 1918 : la "Grosse Bertha" et Paris, une légende historique


Cette semaine, nous vous proposons un retour d'un peu plus d'un siècle en arrière alors que pleuvent sur Paris les premiers obus tirés prétendument par celle qui est restée dans l'Histoire sous le nom de la "Grosse Bertha". Prétendument, car si la dame en question a bel et bien existé, elle n'a jamais bombardé la capitale de notre beau pays… Explications.

Usurpation d'identité

Lorsque les premiers bombardements commencent ce 23 mars 1918, le bruit court dans tout Paris : la "Grosse Bertha" est entrée en action !

Prénommée ainsi en "hommage" – si, si ! - à la fille unique de son constructeur, l'aciériste Friedrich Krupp, elle a été réalisée en une douzaine d'exemplaires. Derrière ce vocable qui prête à sourire se cache en fait une arme aussi redoutable que terrifiante. Conçue pour l’attaque des forts français et belges, il s'agit d'une pièce d'artillerie de 5 mètres de long, pesant plus de 42 tonnes et de très gros calibre. Les 420 mm de diamètre des 10 obus par heure qu'elle est capable de tirer sont capables de percer le plus épais des bétons armés.

Seul inconvénient : elle reste de relativement faible portée puisqu'elle peut atteindre des objectifs situés à 14 km maximum. Et lorsque l'on sait que le canon – ou plutôt LES canons puisqu'ils sont au nombre de sept - que les Parisiens appellent la "Grosse Bertha" se trouvent dissimulés dans les bois de Crépy-en-Laonnois, dans l’Aisne, à 120 km de là, on se doute qu'il y a un loup…

Pari(s) perdu

Les vraies coupables sont en réalité d'autres pièces d'artillerie conçues spécifiquement pour effrayer la population de la capitale française que les Allemands ont surnommé les "canons parisiens" ou les "Longs Friedrich", également fabriquées par Krupp comme leur nom, inspiré cette fois de l'industriel lui-même, l'indique. Ce sont elles qui occasionnent, du 23 mars au 9 août suivant, 256 morts et 620 blessés dans la population parisienne. En quatre mois et demi, pas moins de 320 obus, d'un calibre de 240 mm et pouvant voler à 40 km de hauteur, s'abattent sur la capitale et sa banlieue, semant la panique. Parmi tous ces tirs, le plus traumatisant reste sans conteste celui du 29 mars qui, en frappant l’Eglise Saint-Gervais ce jour du Vendredi Saint pendant l’office, tue 91 paroissiens et en mutile 68 autres.

La portée redoutable de ces impressionnantes pièces d'artillerie s'explique en particulier par la longueur impressionnante de leur canon, aux alentours de 35 mètres, et par leurs 750 tonnes. Elles ne peuvent donc être transportées que par voie ferrée et nécessitent d’importants travaux de maçonnerie pour aménager leurs plateformes de tir.

Et pourtant… A l'arrivée, cette opération particulièrement coûteuse n’a pas été une réussite pour l’armée allemande, dont l'objectif était de créer une panique telle au sein de la population que le gouvernement français n'aurait eu d'autre choix que de capituler. C'est en effet le Kaiser qui dépose les armes le 11 novembre. Amers, les militaires démontent et détruisent partiellement ces canons ainsi que les archives s’y rapportant, empêchant ainsi toute reconstitution précise de la campagne de tir.

"Un amoureux est discret à peu près comme un coup de canon" – Honoré de Balzac